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[#Patrimoines déchainés] Nouvelle acquisition – Libres de couleur / Révolte de Saint-Domingue
L’assemblée coloniale de la Guadeloupe s’adresse au roi en pleine Révolution française
Alors que la Révolution est à l’œuvre en France, des milliers d’esclaves se soulèvent en août 1791 dans la colonie de Saint-Domingue (actuelle Haïti), y menaçant une économie coloniale florissante basée sur l’exploitation d’esclaves.
La révolte de Saint-Domingue est d’autant plus retentissante que la colonie concentre les deux tiers du commerce colonial français et est le premier producteur mondial de sucre et de café. Comme en Guadeloupe, la population y est en très large majorité servile, avec à la marge un petit groupe de blancs et de libres de couleurs. C’est de cette dernière catégorie de population dont il est question dans ce document. Les libres de couleur (affranchis ou descendants d’affranchis, noirs ou métis) n’ont alors pas encore l’égalité juridique avec les blancs.
Si des voix réformistes, voire abolitionistes, se font entendre en France (la Société des amis des Noirs est créée en 1788), elles sont encore minoritaires et font face à un puissant lobby colonial. Elles parviennent néanmoins à s’imposer en faisant consacrer, dans un premier temps, l’égalité des blancs et des hommes libres de couleur. Ce point est introduit dans la loi relative aux colonies et aux moyens d’y apaiser les troubles, promulguée par le roi Louis XVI le 4 avril 1792, qui reprend le décret voté par l’Assemblée nationale le 28 mars 1792. Cette loi, qui traite largement de la situation à Saint-Domingue, accorde les droits électoraux aux libres de couleur (art. 2). Elle prévoit aussi la nomination de commissaires civils et l’envoi aux colonies d’ « une force armée suffisante » (art. 8) afin de faciliter sa mise en application.
Ce document, acquis récemment par les Archives départementales de la Guadeloupe, témoigne de l’opposition de l’assemblée coloniale de la Guadeloupe à l’envoi de ces troupes, qui semble vécue comme une humiliation par les colons.

Transcription du document (l’orthographe a été remaniée)
« AU ROI.
SIRE,
Vos colons de l’île de Guadeloupe, toujours soumis et fidèles, ont reçu le décret du 28 mars dernier, sanctionné par votre majesté, le 4 avril suivant. Déjà d’après le pouvoir qu’elle en avait reçu, l’assemblée coloniale avait fixé l’état politique des gens de couleur libres, déjà elle était prête à faire passer au pied du trône le résultat de ses travaux à cet égard, et elle avait lieu de croire qu’en se livrant à la bienfaisance envers une classe d’hommes qui lui a toujours été chère, elle remplissait toutes les vues de l’assemblée nationale, lorsque le décret du 28 mars lui est arrivé. L’exécution la plus prompte, la soumission la plus entière en seront la suite : mais, sire, la colonie de la Guadeloupe est profondément affligée des moyens de force que l’on paraît vouloir employer vis-à-vis d’elle pour l’exécution de la loi. Serait-ce là le fruit de l’obéissance qu’elle a toujours montrée pour les décrets de la nation, sanctionnés par votre majesté ? Daignez, sire, jeter vos regards paternels sur cette contrée toujours fidèle à la métropole ; épargnez-nous la honte d’être traités comme des rebelles, et jugez-nous plutôt par nos actions que par les discours empoisonnés des détracteurs qui nous calomnient.
Permettez-nous, sire, de représenter à votre majesté que les troupes destinées à la Guadeloupe sont inutiles, qu’aucune opposition ne les y appelle ; que la culture, dans un état florissant, y offre au commerce des ressources précieuses ; que ce serait surcharger la nation d’une dépense superflue, et que les vues bienfaisantes des pères de la patrie seront bien mieux remplies en appliquant ce secours à nos malheureux frères de Saint-Domingue.
Nous sommes avec le plus profond respect, sire, de votre majesté, les très humbles, très obéissants et très fidèles sujets, les membres de l’assemblée coloniale de la Guadeloupe.
Signé Lasalinière, président ; Hurault de Gondrecourt, Delort et Bernard, secrétaires.«
Pour aller plus loin :
Loi du 4 avril 1792 relative aux colonies et aux moyens d’y apaiser les troubles (lien).