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[FOCUS BUMIDOM] Contester le BUMIDOM en Guadeloupe
Comme l’a rappelé Sylvain Pattieu lors de sa conférence aux Archives en juin dernier, la politique de migration portée par le BUMIDOM se heurte à des contestations dès sa création et pendant toute son existence. Dès 1964 en Martinique, Aimé Césaire dénonce l’organisation de cette migration qui prive les DOM « des bras » et des « intelligences » pourtant indispensables à leur développement.
En Guadeloupe, si les gaullistes et centristes, partisans de la départementalisation, défendent le BUMIDOM comme une chance pour les Antilles, les mouvements autonomistes, indépendantistes et le parti communiste y sont fermement opposés. La presse guadeloupéenne, dans sa diversité, se fait régulièrement l’écho de ces contestations vives ou plus modérées. En voici un aperçu.
La chronique créole publiée dans la quotidien Antilles Matin du 10 février 1965 tourne en dérision la volonté de partir en France qui anime une partie de la jeunesse guadeloupéenne. Cette chronique prend la forme d’un récit très imagé, presqu’un conte, dans lequel Blanc, un jeune guadeloupéen, échange successivement avec un certain Robespiè, puis avec Monsieur Godillot. Ces derniers sont très dubitatifs quant au projet de Blanc de partir en France, alors qu’il n’a jamais quitté Bouillante et qu’il n’a pas encore exploré la Guadeloupe. Pour le dissuader, M. Godillot lui relate l’expérience malheureuse d’un homme du Gosier parti en France en famille et revenu plus pauvre qu’à son départ :
« Cé pas tout dit pati pou Fouance. Allé à ou cé ta ou, min vini à ou…
Blanc couté sans dit ayen, épi i tourné kon gade mangé à malhéré en courant dé.
Depi jou là ça, toute lidé à Fouance té soti en tête à i. »

Le Progrès social, hebdomadaire politique à tendance indépendantiste, parle du BUMIDOM dès les années 1960. On y lit, par exemple en 1964 un article intitulé : « Une lettre du BUMIDOM ou la grande farce du Bureau pour le développement des migrations intéressant les départements d’outre-mer ». On devine à la lecture de l’article qu’un dossier de demande de départ par le BUMIDOM va être refusé faute de solution d’hébergement dans l’Hexagone pour le candidat. Pour le journal, le BUMIDOM « est incapable de créer des centres d’hébergement et des logements décents pour les ouvriers antillais qu’[on] incite à émigrer ». « Du vent et de la propagande toutes les belles promesses faites par le BUMIDOM, incapable de faire pour les ouvriers et les travailleurs guadeloupéens qu’on prive de travail et qu’on pousse honteusement à l’émigration ce qui est fait pour les ouvriers italiens, pour les ouvriers espagnols, pour les ouvriers marocains, voire pour les ouvriers portugais ».
Plus tard, Le Progrès social relaie plusieurs textes du père Bocquillon, aumônier de la Mission antillaise à Paris et l’une des incarnations de l’opposition au BUMIDOM. En autres articles, signalons en 1965 : « Il faut lutter contre la traite des femmes et des enfants antillais, la nouvelle traite des nègres ».
Le journal catholique Clartés, régulièrement critique à propos du BUMIDOM et de la migration vers l’Hexagone, se fait également le porte-voix du père Bocquillon. Extrait : « Pour ceux qui veulent aller en métropole : Une fois de plus, je recommande de ne pas venir ici sans avoir mûrement réfléchi, car une telle décision est grave. Le problème est toujours aussi crucial et constitue toujours, à des degrés divers, une aventure. D’autre part, ceux qui n’ont pas une qualification professionnelle doivent s’attendre à de nombreuses difficultés, d’autant que le plus souvent ils ne sont pas disposés à prendre l’emploi qui se présente. »

L’hebdomadaire L’Étincelle, organe du parti communiste guadeloupéen, aborde lui aussi régulièrement cette émigration. Le numéro du 18 novembre 1967 rapporte l’intervention du député communiste guadeloupéen Paul Lacavé, le 2 novembre 1967, lors de la discussion sur le budget des DOM. Il y critique le dispositif du BUMIDOM qui, selon-lui, n’est pas une nécessité, « mais une catastrophe » et interpelle l’assemblée en ces termes : « Parmi les milliers d’émigrés qui arrivent en France, combien bénéficient d’une formation professionnelle véritable ? Combien peuplent les bidonvilles des banlieues parisiennes, les caves de Clignancourt et de Montreuil ? »

Un article intitulé « Les Guadeloupéens dans les usines de France » paraît dans L’Étincelle du 12 septembre 1981. Extrait : « Comment peut-on dans ces conditions parler de formation professionnelle quand les gardes chiourmes ne savent dire qu’une chose : « VITE. VITE. VITE ». Comment peut-on avoir la force et le temps de suivre les cours du soir après avoir subit une telle journée, à part quelques exception, l’entreprise fait tout pour nous condamner à rester au plus bas de la hiérarchie ».

L’article « Les immigrés antillais en otages ? » paraît le 24 janvier 1981 dans Le Journal guadeloupéen, bi-mensuel anticolonialiste d’information. Extrait :
« Forcé à quitter son pays pour aller travailler sur un sol étranger, condamné à vivre au sein d’une population qui le rejette, malgré ses efforts d’intégration, malgré peut-être son illusion d’être français, le travailleur immigré antillais connait avant tout un état d’insécurité permanente lié à sa condition. Cette insécurité il la ressent partout ; dans le métro, dans la rue, dans son emploi. En plus, il a le sentiment d’être le bouc-émissaire sur lequel on fait reposer la responsabilité, le développement de la délinquance, de la prostitution quand tout simplement on ne trouve pas qu’il fait vilain dans le paysage. »
