[FOCUS] Les 120 ans de la loi de séparation des Églises et de l’État

Nous célébrons cette année le 120ᵉ anniversaire de la loi du 9 décembre 1905, portant séparation des Églises et de l’État. Couramment appelée « loi de 1905 », ce texte s’applique à l’ensemble des confessions de France et repose sur plusieurs grands principes : la liberté de conscience, la non-reconnaissance des cultes, la neutralité de l’État, et la séparation des institutions religieuses et du pouvoir civil. Elle met ainsi un terme au Concordat instauré en 1801.

Pour ce qui concerne la Guadeloupe, les Archives départementales conservent peu de documents relatifs à la mise en œuvre de la séparation des Églises et de l’État, et ceux-ci portent exclusivement sur le culte catholique. Figurent néanmoins l’arrêté de promulgation du décret dans le Journal officiel de la Guadeloupe portant règlement d’administration publique et déterminant les conditions d’application à la Martinique, à la Guadeloupe et à la Réunion des lois sur la séparation des Églises et de l’État et l’exercice public du culte (3 K 104) ainsi que les inventaires des biens des églises publiés dans la Journal officiel de la Guadeloupe (3 K 105). Ce corpus est utilement complété par des sources extérieures, en particulier les archives conservées au Vatican, microfilmées sous la cote 1 Mi 564/1. Des sources secondaires, telles que l’ouvrage du révérend père Janin, Les diocèses coloniaux jusqu’à la loi de Séparation (1850-1912), offrent également un éclairage sur cette période charnière, qu’il convient toutefois de lire avec le recul critique nécessaire, l’auteur étant un homme d’Église.

Arrêté de promulgation du décret portant règlement d’administration publique et déterminant les conditions d’application à la Martinique, à la Guadeloupe et à la Réunion des lois sur la séparation des Églises et de l’État et l’exercice public du culte. Journal officiel de la Guadeloupe, Arch. dép. Guadeloupe 3 K 104.

En Guadeloupe, comme dans plusieurs autres anciennes colonies, le principe de spécialité législative coloniale retarde pourtant l’application de la loi de 1905. Ce n’est qu’avec le décret du 6 février 1911 — lequel abroge par ailleurs les décrets des 18 décembre 1850 et 3 février 1851 relatifs à l’organisation des diocèses coloniaux — que ses dispositions deviennent effectivement applicables dans l’archipel.

Ce décalage s’explique principalement par deux facteurs :

  • Des considérations politiques et coloniales : bien que les idées laïques progressent, le pouvoir colonial cherche à maintenir l’ordre social et à prévenir tout conflit, notamment au moment sensible des inventaires des biens d’Église.
  • L’insuffisance des structures publiques d’enseignement : malgré les lois Ferry de 1881-1882 rendant l’école primaire gratuite, laïque et obligatoire, les établissements confessionnels restent, au tournant du siècle, très présents dans le paysage scolaire guadeloupéen, rendant la transition vers un cadre pleinement laïque plus délicate.

La loi est finalement rendue applicable en Guadeloupe malgré un travail d’influence exercé par les autorités religieuses auprès des autorité politiques et exécutives en place, autorités religieuses très inquiètes des conséquences de la séparation. Se pose d’abord la question du financement du culte catholique et notamment de la rémunération des prêtres, qui, jusqu’à cette date, étaient rémunérés par la colonie. En filigrane, apparaît aussi l’enjeu de la capacité de l’Église à assurer le culte dans l’ensemble des paroisses, alors que le nombre de prêtres diminue déjà depuis les années 1890 et plus fortement encore après 1906, lorsque l’administration centrale cesse de nommer de nouveaux desservants. Un autre argument avancé par les autorités ecclésiastiques concerne les risques de trouble à l’ordre public qui pourraient résulter de l’arrivée de prédicateurs étrangers ou d’une perte de repères pour une population profondément attachée à son clergé.

À la suite du décret de 1911, des inventaires des biens d’Église sont réalisés dans toutes les paroisses, comme l’atteste le supplément au Journal officiel de la Guadeloupe. Ces inventaires, peu détaillés, permettent difficilement d’identifier avec précision les biens appartenant réellement à l’Église. Le révérend père Joseph Janin évoque même de simples « simulacres » d’inventaires, suffisants pour satisfaire aux obligations légales. Les biens recensés — ceux des églises et des fabriques — sont alors placés sous séquestre et le denier du culte est instauré.

En revanche, la création des associations cultuelles, prévues par la loi pour assurer l’entretien des édifices et l’exercice du culte, tarde à se concrétiser : les autorités catholiques en interdisent la formation. Ce n’est qu’en 1927 que voit finalement le jour l’Association diocésaine de la Guadeloupe.

Journal officiel de la Guadeloupe. Inventaire des biens des paroisses. Arch. dép. Guadeloupe, 3 K 105.

Sources :

Journal officiel de la Guadeloupe, arrêté de promulgation du décret portant règlement d’administration publique et déterminant les conditions d’application à la Martinique, à la Guadeloupe et à la Réunion des lois sur la séparation des Églises et de l’État et l’exercice public du culte, 3 K 104, Archives départementales de la Guadeloupe.

Journal officiel de la Guadeloupe, Inventaire des biens des paroisses, supplément du 6 mars 1913, 3 K 105, Archives départementales de la Guadeloupe.

Minutes notariales de Maître NEMAUSAT, Acte de création de l’association de l’Association diocésaine de la Guadeloupe, 2 mars 1927, 1 F 3583

Max DIDON, Histoire religieuse de la Guadeloupe au XXe siècle (1911-1970), L’Harmattan, Paris, 2014.

R.P. Joseph JANIN, Les églises créoles françaises, Histoire religieuse des vieilles colonies depuis la Séparation 1912-1923, Paris, 1940.

R.P. Joseph JANIN, Les diocèses coloniaux jusqu’à la loi de séparation (1850-1912), Paris, 1938.

 

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