Cartographier la servitude. Le Plan parcellaire et géométrique de l’habitation sucrerie dite Beaumont, appartenant à M. Boyvin, 181.

Grâce aux lettres, aux pièces comptables et autres rapports, les informations ne manquent pas sur l’habitation La Mineure (voir le focus précédent) mais il manque une représentation dans l’espace, un plan de l’habitation avec la localisation des installations, des champs de cannes, des savanes ou des terres laissées en friche. Un tel plan, nous l’avons en revanche pour une habitation voisine, l’habitation-sucrerie Boyvin dite Beaumont. Pour cette propriété de plus de 150 hectares, nous disposons en effet d’un « plan parcellaire et géométrique » réalisé en 1817 par un ingénieur-géomètre nommé Legris qui effectue les opérations d’arpentage.

Habitation Beaumont Esclavage
Cartographier la servitude. Le Plan parcellaire et géométrique de l’habitation sucrerie dite Beaumont, appartenant à M. Boyvin, 181.

Précis et minutieux, Legris nous donne ainsi à voir comment s’organise l’espace où se concentre la vie des esclaves attachés à l’habitation. Au centre du domaine, sur un vaste emplacement, cohabitent dans un désordre apparent, les activités industrielles et la vie quotidienne. Nécessaires à la fabrication du sucre, du rhum et des sirops, les installations techniques se suivent en partant du nord : le moulin à vent qui domine le paysage de toute sa hauteur, relié à la sucrerie par une forme de rigole. Viennent ensuite la purgerie, l’étuve, la tonnellerie et le four à chaux. On trouve en face la maison des maîtres avec autour d’elle, la case à eau servant de citerne, la cuisine, l’office et l’hôpital pour les esclaves ; ces bâtiments ouvrent sur un vaste jardin potager. Plus au sud mais à proximité immédiate, les 45 « cases à nègre » forment un petit village divisé en rues plus ou moins rectilignes. Ces cases sont dessinées de manière identique : un seul niveau couvert par un toit à deux pentes, deux fenêtres de part et d’autre de la porte d’entrée. Elles servent à loger les 200 esclaves de l’habitation. L’ingénieur Legris n’oublie pas les parcs à bœufs et à mulets, mais aussi les « lapinières et les volières » car l’habitation vit en partie de ce qu’elle produit. En revanche, il ne mentionne pas les moutons dont nous savons par ailleurs qu’ils étaient au nombre d’une trentaine. De ce plateau central partent plusieurs chemins qui conduisent aux différentes terres du domaine, désignées par un nom : « Petit coin », « Boniface », « Tamarin », « Trou à terre », etc. Le dessinateur attache un soin particulier à représenter la végétation, ce qui permet de distinguer les espaces dévolus à la culture de la canne, les bois et les friches, les mares mais aussi les parcelles attribuées aux esclaves pour leurs cultures vivrières. Moins de la moitié des terres sont plantées en cannes à sucre et toutes les cannes ne sont pas coupées la même année. La récolte annuelle repose sur l’exploitation d’une vingtaine d’hectares de cannes.

Habitation esclavage

 

Habitation escvlage

A la mort de son propriétaire, survenue en 1824 alors qu’il s’était retiré en Normandie avec sa famille, l’habitation fait l’objet d’une estimation et le plan de Legris prend alors une dimension plus « sonnante et trébuchante » même si l’inventaire réalisé par le notaire donne à voir une autre réalité moins soignée. Les bâtiments valent ainsi 235 680 livres mais la maison des maîtres est en très mauvais état, tout comme la cuisine ; de son côté, l’hôpital sert aussi d’écurie. Le quartier des esclaves comprend au total 60 cases en bois et quatre cases en maçonnerie pour une valeur de 23 400 livres. Le moulin à vent est estimé à près du triple. Mais à eux seuls, les 201 esclaves valent plus de 450 000 livres, près de 40% de la valeur totale de l’habitation-sucrerie.

Arch. dép. Guadeloupe, 1 Fi 160, Plan parcellaire et géométrique de l’habitation sucrerie dite Beaumont, appartenant à M. Boyvin, 1817.

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