[FOCUS SUR] Bribes de vie

Les cartes postales conservées aux Archives départementales de la Guadeloupe et accessibles en ligne sur notre site internet (www.archivesguadeloupe.fr) contiennent parfois une ou deux phrases écrites au dos ou quelques mots griffonnés à la hâte ; on s’y prend toujours trop tard et le facteur n’attend pas ! Ces bribes de vie que le hasard a sauvées de la disparition, sont d’une grande diversité mais aussi d’une grande banalité ; elles appartiennent à ces « archives ordinaires et de l’ordinaire », selon une expression heureuse de l’historien Philippe Artières. S’ils sont souvent difficiles à comprendre tant le contexte et les intentions du rédacteur nous échappent, ces mots n’en suscitent pas moins l’intérêt et la curiosité car ils sont les traces concrètes de la vraie vie, faite de projets, de sentiments, de contraintes et d’interactions sociales. A ce titre, ces jalons d’histoires individuelles échappées de la disparition, ont leur place dans les collections publiques et méritent qu’on y porte attention.

En voici un premier exemple et nous continuerons la semaine prochaine.

Transcription [l’orthographe a été respectée]

Les Saintes, le 1er février 1913

 Je suis toujours en très bonne santé. Nous partons le 3 pour Fort de France ou nous allons nous ravitailler avant la grande traversée et après en route pour Dakar.

Je vous embrasse tous.

C Bonnefoi

Adresse : Mademoiselle Marie Bonnefoi, hôtel Gérard, Le Muy, Var

Quelques mots, une adresse ; l’auteur de la carte, C Bonnefoi, va à l’essentiel et au plus vite. Il n’utilise pas d’enveloppe : les trois timbres – 10 centimes en tout – sont collés directement au recto et la carte est postée telle quelle.

Bonnefoi est certainement un marin qui appartient à l’équipage du navire que la marine nationale envoie chaque année aux Antilles ; le bateau séjourne régulièrement aux Saintes pour des exercices en mer et à terre car la rade est sûre. Il s’agit probablement du croiseur Jeanne-d’Arc, devenu en 1912 le navire école de la marine de guerre. Bonnefoi serait alors un des élèves-officiers embarqués pour leur croisière d’application qui les mène autour du monde.

La carte est brève : on parle de la santé, qui est bonne, et surtout des perspectives qui attendent le jeune marin, la grande traversée de l’Atlantique puis le Sénégal – alors colonie française –  et le port de Dakar. Bonnefoi semble pressé et heureux de vivre cette aventure. La destinataire, Marie Bonnefoi, est sa sœur et à travers elle, c’est toute la famille que le jeune marin informe. Ses parents tiennent un hôtel au Muy, un village de l’arrière-pays varois. On n’en sait pas davantage.

Pour écrire son courrier, Bonnefoi utilise une carte postale qui représente non pas l’archipel des Saintes mais plus communément les environs de Basse-Terre, en l’occurrence le grand pont de pierre qui enjambe la rivière des Pères à la sortie du chef-lieu quand on rejoint la cote sous le vent. Le cliché est l’œuvre d’un grand photographe antillais, Edgard Littée, surnommé Phos. Ce professeur de physique au lycée de Pointe-à-Pitre, commercialise ses clichés à la fin du XIXe siècle et devient à la fois photographe et éditeur de très nombreuses séries de cartes postales.

Basse-Terre (les environs). – La Rivière des Pères. Edit. Phos, Pointe-à-Pitre (Guadeloupe).

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