[FOCUS SUR] Un document singulier, le relevé de formalités de Joseph dit Sans Culotte.

Les répertoires des formalités hypothécaires contiennent les relevés de formalités qui se présentent sous la forme de tableaux pré-imprimés divisés en plusieurs « cases ». Ils sont aussi austères que nécessaires car ils permettent de retrouver, pour une personne donnée et de manière synthétique, la totalité des actes inscrits ou transcrits dans les registres hypothécaires. Chaque ligne d’un relevé de formalités correspond aux références de l’achat ou de la vente d’un bien immobilier.

Le relevé de formalités présenté aujourd’hui est singulier. Il concerne en effet un nommé Joseph dit Sans Culotte, qui achète une parcelle en 1847 et qui est par ailleurs un esclave, travaillant sur une habitation sucrière. Même si les lois « Mackau » de 1845 permettent en théorie aux esclaves d’accéder à la propriété sous la curatelle de leurs maîtres, il est exceptionnel de trouver de telles transactions dans des relevés de formalités.

Joseph dit Sans Culotte est raffineur sur l’habitation Beausoleil à Basse-Terre extramuros (aujourd’hui Saint-Claude). Le raffineur a la charge de cuire le sucre, ce qui lui confère un rôle essentiel dans la marche de l’habitation. Pour faire un bon sucre, il faut toute la science et l’expérience du raffineur qui doit arrêter la dernière cuisson à temps en fonction de la qualité et de la maturité des cannes. 3esclaves à talent », les raffineurs sont souvent des « rouges » (des esclaves nés à la Guadeloupe et métissés) qui ont accumulé au fil des ans un certain pécule.

Si Joseph figure bien dans le registre des formalités hypothécaires, le titre de propriété qui correspond à l’acte n°27 du 5 mai 1847 n’est pas à son nom mais à celui d’Alexandrine dite Macoutout, qui appartient à la catégorie des libres de couleur. A la fin de l’acte notarié, la demoiselle Alexandrine stipule que « le nègre Joseph, esclave appartenant aux héritiers Le Pelletier et attaché à leur habitation sucrerie Beausoleil…lui a fourni la moitié du comptant par elle payée à la demoiselle Héloïse » et qu’elle « lui reconnait, dès à présent, sur la portion de terre qui a fait l’objet de cette acquisition un droit de copropriété.

Le surnom de Sans-Culotte indique que Joseph est lié à la Révolution française d’une manière ou du autre et qu’il est peut-être né durant la première abolition de l’esclavage entre 1794 et 1802, avant de connaître plus de 40 années de servitude.

Le jour de l’achat de la parcelle en copropriété avec Joseph, Alexandrine, dite Macoutout qui faisait partie avant son affranchissement de l’atelier de l’habitation-sucrerie Beausoleil, reconnait pour ses enfants, en l’étude de Maître Louis Auguste Mollenthiel, trois esclaves de cette même habitation : Nicolas, âgé de 20 ans, et Angélique et Nicole, âgés respectivement de 19 et 17 ans. Les enfants d’Alexandrine seront inscrits le 24 octobre 1848 sur le registre des nouveaux libres de Saint-Claude sous le nom patronymique de Macoutout. Alexandrine a alors 52 ans. Mais rien sur Joseph dit Sans Culotte qui disparaît ainsi de l’histoire aussi vite qu’il y est entré.

Conservation des hypothèques de Basse-Terre, Répertoire des formalités hypothécaires , volume 6. Arch. Dép. Guadeloupe, 4 Q 1984 .

 

Retour aux actualités