[#Patrimoines déchainés] Le Cahier du marronnage du Moule

Le cahier de déclarations de marronnage du Moule représente une source historique exceptionnelle dans le paysage archivistique guadeloupéen. Il est entré aux Archives départementales en 1989 par le biais d’un dépôt afin d’assurer sa préservation matérielle. Ce document, qui aurait été découvert en 1970 par l’historien Jacques Adélaïde-Merlande, a fait l’objet d’un microfilmage par les Archives départementales en 1981 (Arch. Dép. Guadeloupe, 1 Mi 419).

Ce manuscrit rare et précieux se présentait à l’origine sous la forme d’un cahier de type scolaire de 78 feuillets, dont 39 écrits. On y lisait sur la mince couverture en papier brun la mention « Déclarations de marronnage ».  Le document était tellement fragilisé par les affres du temps qu’une restauration devenait nécessaire ; elle a été menée en 1995 par les Archives départementales. Plusieurs actes sont cependant illisibles.

Ce registre contient les déclarations relatives au marronnage présentées par les propriétaires d’esclaves de la commune du Moule devant Jean Monnerot, alors maire de la ville. La période couverte s’étend du 3 mai 1844 au 1er mai 1848.

Ce document est le seul connu de ce type en Guadeloupe. Il est peut-être même unique. De nombreux historiens s’accordent en effet pour dire qu’il s’agit probablement d’une initiative locale, en raison notamment du manque d’harmonisation dans la présentation du registre et dans les déclarations.

En raison de son caractère exceptionnel, ce cahier a fait l’objet d’une publication commentée en 1996 par la Société d’Histoire de la Guadeloupe. Le contenu y est intégralement transcrit.

Déclarations de marronnage d’esclaves faites par les propriétaires sur la commune du Moule. Arch. Dép. Guadeloupe, 3 E Dépôt 131.

Extraits choisis (transcriptions) :

 

Le présent registre contenant dix-huit feuillets non compris celui-ci et le dernier a été coté et parafé par nous Jean Monnerot, maire de la commune du Moule, pour servir à recevoir les déclarations de marronnage qui seront faites, à dater de ce jour, à la mairie de cette commune.  Moule, le 1er avril 1845, Monnerot. (folio 1)

 

 L’an mil huit cent quarante-huit et le premier mai, par devant nous, Jean Monnerot, chevalier de la Légion d’Honneur, maire de la commune du Moule, est comparu le sieur Saint-Louis DORAT, charpentier, domicilié en cette commune, lequel nous a déclaré que l’esclave ETIENNE, appartenant à Mademoiselle MALLET, sa belle-mère, est en état de marronnage depuis environ trois mois et travaille à l’usine ACOMAT. (folio 39)

Pourquoi ce cahier existe ?

Plusieurs facteurs historiques ont contribué à l’émergence de ce document administratif. Le Moule a abrité une importante population servile. De plus, en 1832, l’abolition générale proclamée dans les îles britanniques voisines crée de nouveaux espaces de liberté et entraîne la mise en place d’un réseau de « fuite par la mer ».[1]  Le Moule en tant que commune côtière constitue un parfait lieu d’évasion. En témoignent les différents arrêtés pris par la municipalité en vue d’endiguer ces fuites.[2]

Par ailleurs, la monarchie de Juillet (1830-1848) a introduit des réformes visant à soulager le sort des esclaves. Ces réformes ont été perçues par certains propriétaires comme une menace à leur autorité et à l’ordre établi.[3] En réponse, ils ont parfois accentué la surveillance, renforcé les punitions et réalisé des déclarations de marronnage.[4] Le marronnage est perçu, par ces derniers, comme étant une attaque contre l’ordre esclavagiste. Ce cahier renvoie donc à une volonté de maintenir cet ordre et répond à un besoin des propriétaires de consigner la disparition de « leurs » esclaves.

De fait, l’importance de la mise en place de ce système de déclaration au Moule est démontrée par la participation active des propriétaires d’habitations. On comprend à la lecture de ces déclarations qu’ils se déplaçaient en nombre significatif jusqu’au chef-lieu malgré les distances importantes à parcourir (allant d’une demi-journée, voire une journée complète pour l’aller-retour) depuis leurs habitations, et cela même quelques mois avant l’abolition de l’esclavage. Or, il est avéré que le Gouvernement provisoire avait pour intention d’abolir l’esclavage.[5]

Quelles sont les informations contenues dans ce cahier ?

Les déclarations de marronnages fournissent généralement des informations concernant : l’identité et le statut du déclarant, ainsi que celle de son éventuel mandataire ; le ou les prénoms du ou des esclaves en fuite, des caractéristiques personnelles (sexe, âge, couleur de peau) et la date de la fuite.

Une évolution notable apparaît dans le contenu des déclarations après 1845 : le numéro d’immatriculation tend progressivement à disparaître. Fin 1847, malgré une intensification du rythme des déclarations, les informations se restreignent à l’essentiel : l’identité du marron et la date de départ.

Qui sont les marrons du Moule ?

L’analyse des profils des marrons du Moule révèle une grande diversité. Toutes les tranches d’âge sont concernées, des enfants aux personnes âgées, avec parfois des familles entières. On note tout de même une majorité d’individus dans la force de l’âge (vingtaine, trentaine).

[1] Adélaïde-Merlande Jacques, « Lettres de l’Abbé Dugoujon, un prêtre anti-esclavagiste », Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, n°159, 2011, p. 57. Arch. Dép. Guadeloupe, PG 5.

[2] Adélaïde-Merlande Jacques (dir.), « Cahier de marronnage du Moule », SHG, 1996, p. 15. Arch. Dép. Guadeloupe, BR 3279.

[3] Ibid, p. 10.

[4] Fallope Josette, Esclaves et citoyens : les Noirs à la Guadeloupe au XIXe siècle, Basse-Terre, Société d’histoire de la Guadeloupe, 1992, p. 319. Arch. Dép. Guadeloupe, 1 BIB 3166.

[5] Adélaïde-Merlande Jacques (dir.), Cahier de marronnage du Moule, p. 13.

 

O. Henry, stagiaire au service action culturelle aux Archives départementales de la Guadeloupe

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