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[#Patrimoines déchainés] Les sources imprimées du marronnage
Les sources imprimées viennent compléter les autres sources disponibles sur le marronnage. En apportant des données aussi bien quantitative que qualitative, elles contribuent de manière significative à la compréhension du phénomène de marronnage. En Guadeloupe, les sources imprimées prennent la forme d’annonces publiées dans la presse officielle, notamment la Gazette officielle de la Guadeloupe et les Affiches, annonces et avis divers de l’île Guadeloupe, dans lesquelles on recense des dizaines de signalements de marrons.[1]
La Gazette officielle de la Guadeloupe (1788-1881) parait de façon hebdomadaire (le jeudi). Elle fournit des renseignements utiles aux colons. Ce journal officiel d’information contient des rubriques telles que des nouvelles politiques, des ordonnances et des règlements, des avis du gouverneur de la Guadeloupe et des avis divers. Les signalements de marronnage sont à chercher dans les avis divers.
Affiches, annonces et avis divers de l’île Guadeloupe (1789-1790) est un journal commercial administratif.
Ces publications, à visée administrative et commerciale, témoignent de l’organisation sociale et des pratiques de contrôle de la population servile. Bien qu’émanant de la voix du pouvoir colonial, ces fragments documentaires donnent à lire en creux l’ampleur du phénomène de marronnage et la diversité des stratégies employées par les esclaves.
Le délai entre la fuite et l’insertion des annonces dans les journaux officiels varie considérablement, allant de quelques semaines à plusieurs mois. Les actes de marronnage pouvaient être individuels ou collectifs, révélant ainsi la diversité des stratégies adoptées par les fugitifs.[2]
Dans certains cas, l’absence de supervision quotidienne de la part du maître équivalait à accorder un certain temps, avant de considérer la fuite comme une infraction réelle, ce qui explique parfois le délai entre la disparition et la déclaration officielle. La durée du marronnage était également très variable. On distingue le « petit marronnage » qui se déroule à proximité de l’habitation et qui ne dure que quelques jours, parfois motivé par des raisons affectives (par exemple une visite à une concubine). À l’inverse, le « grand marronnage » est une fuite définitive.[3]
Cependant, il faut rappeler qu’une déclaration à la justice entraînait des sanctions, allant parfois jusqu’à l’exécution du marron, en cas de récidive. En cas de perte définitive, l’indemnisation versée par les autorités est de 1 300 livres, soit la moitié du prix moyen d’un esclave, ce qui incitait les maîtres à tout mettre en œuvre pour retrouver leurs esclaves. [4]
Un système de primes est d’ailleurs mis en place pour récompenser la capture d’un marron. Celle-ci était récompensée de 24 livres si l’arrestation avait lieu en forêt, 12 sur les habitations et 6 dans les villes et bourgs.[5] Les esclaves repris étaient emprisonnés dans les geôles royales. En plus des avis signalant les esclaves partis en marronnage, des annonces font part des emprisonnements, afin d’informer les maîtres et de les inciter à venir les récupérer.
À partir de 1830, on observe une diminution progressive des annonces de marronnage dans les publications officielles, jusqu’à leur quasi-disparition dans les années 1840.[6] Ce changement ne doit cependant pas être interprété comme une disparition du phénomène en lui-même. En effet, on retrouve dans des témoignages, tels que ceux de Victor Schoelcher et de l’abbé Casimir Dugoujon, les indications d’un regain du marronnage à partir de 1840. De même, les Archives départementales conservent un exemple inédit de la poursuite de ces signalements à l’échelle d’une commune, au-delà de 1840.
[1] Régent Frédéric, « Résistances serviles en Guadeloupe à la fin du XVIIIe siècle », Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, n°140, 2005, p. 34. Arch. Dép. Guadeloupe, PG 5.
[2] Fallope Josette, Esclaves et citoyens : les Noirs à la Guadeloupe au XIXe siècle, Basse-Terre, Société d’histoire de la Guadeloupe, 1992, p. 213. Arch. Dép. Guadeloupe, 1 BIB 3166.
[3] Régent Frédéric, op. cit., p. 29.
[4] Ibid, p. 35.
[5] Ibid, p. 37.
[6] Fallope Josette, op. cit., p. 212.
Pour aller plus loin :
Archives départementales de la Guadeloupe, Journaux et revues. Catalogue des collections de presse.
Adélaïde-Merlande Jacques, « Lettres de l’Abbé Dugoujon, un prêtre anti-esclavagiste », Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, n°159, 2011 p.53-59. Arch. Dép. Guadeloupe, PG 5.
Schœlcher Victor, Histoire de l’esclavage pendant les deux dernières années, Paris, Pagnerre, 1847. 2 vols., 567 et 486 pages. Arch. Dép. Guadeloupe, 1 BIB 1536.
Sibille Claire (dir.), Guide des sources de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions, Paris, La Documentation française, 2007, 625 pages.