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[#Patrimoines déchainés] Le marronnage en Guadeloupe
La condition servile aux Antilles se caractérise par la diversité des expériences individuelles et collectives des esclaves. L’attitude face à cette situation varie considérablement selon plusieurs facteurs interconnectés : le type de tâches quotidiennes, la qualité des interactions avec le maître, le statut social au sein de l’habitation, ainsi que le caractère de chaque individu asservi.[1]
Dans ce contexte de domination, la résistance se manifeste de diverses manières. Si le marronnage occupe une place prépondérante dans l’histoire et la mémoire collective des Antilles, il ne constitue qu’une manifestation parmi d’autres de la résistance à l’esclavage. Effectivement, toute initiative prise par les esclaves qui perturbe l’ordre établi de domination peut être vue comme une manifestation de résistance active.[2] Cependant, le phénomène du marronnage est considéré comme un élément historique majeur et a laissé une empreinte indélébile sur l’imaginaire collectif et la littérature des Antilles.[3]
Qu’est-ce que le marronnage ?
L’origine du marronnage remonte aux premiers temps de l’esclavage en Amérique. Les archives coloniales françaises consignent la première mention d’un nègre marron en Guadeloupe dès 1641, témoignant ainsi de l’ancienneté et de la persistance de cette forme de résistance.[4]
Pour Frédéric Régent, historien spécialiste de l’histoire de l’esclavage, le terme « marronnage » découle du mot espagnol « cimarròn », utilisé pour qualifier sans distinction les Amérindiens fugitifs, les esclaves africains en fuite et les animaux qui se sont échappés.[5] Les marrons sont des individus qui ont rompu avec le cadre rigide de l’habitation. Ce phénomène de fuite traduit avant tout une volonté délibérée de se détacher de l’espace restrictif de la plantation et de l’ensemble des contraintes qui lui sont associées.
Les raisons du marronnage chez les esclaves sont nombreuses, en lien avec la douleur et l’oppression subies. Parmi ces causes, on trouve la famine, la violence physique et psychologique, les concubinages forcés et le changement de propriétaire. [6] Le marronnage représente avant tout un acte de survie et de dignité face à un système qui nie fondamentalement l’humanité de ceux qu’il asservit.
Les lieux de destination des marrons présentent une géographie diverse et stratégique[7] :
- Certains trouvent refuge dans les zones urbaines, profitant de l’anonymat relatif des villes pour se fondre dans la population ;
- D’autres bénéficient de la complicité de certains colons qui leur offrent clandestinement du travail ;
- D’autres encore se réfugient dans les zones forestières reculées, comme en témoigne le cas exceptionnel du camp des Kellers.
La communauté marronne des Kellers, ou Mondongs, entre 1776 et 1832, représente un cas particulièrement documenté d’établissement durable dans les forêts centrales de Guadeloupe.[8] Cette communauté démontre la capacité des marrons à créer des structures de vie autonomes malgré la surveillance coloniale.
Bien que les esclaves pratiquant le marronnage ne représentent qu’un faible pourcentage de la population servile (entre 1 et 2% de l’effectif total) leur impact symbolique et leur influence sur le système colonial étaient considérables.[9] Cette relative rareté ne doit pas masquer l’inquiétude croissante qu’ils inspiraient aux autorités, car leur simple existence remettait en question la légitimité du système esclavagiste.
La répression du marronnage fut systématique et particulièrement sévère. Dès 1685, le Code noir établissait un système gradué de sanctions qui s’intensifiaient avec les récidives[10] :
- Coups de fouet et/ou marquage au fer à la première tentative ;
- Mutilations en cas de récidive ;
- Condamnation à mort en cas de nouvelle récidive.
Les esclaves fugitifs sont recherchés. Des avis paraissent dans la presse officielle de la colonie. Ils signalent les esclaves partis en marronnage et les marrons repris, enfermés dans les geôles.
[1] Régent Frédéric, La France et ses esclaves : de la colonisation aux abolitions (1620-1848), Paris, Grasset, 2007, p. 155. Arch. dép. Guadeloupe, 1 BIB 4543.
[2] Régent Frédéric, « Résistances serviles en Guadeloupe à la fin du XVIIIe siècle », Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, n°140, 2005, p. 16. Arch. Dép. Guadeloupe, PG 5.
[3] Régent Frédéric, La France et ses esclaves…, p. 161.
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Fallope Josette, « Résistance d’esclaves et ajustement au système. Le cas de la Guadeloupe dans la première moitié du XIXe siècle », Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, n°67-68, 1986, p. 38. Arch. dép. Guadeloupe, PG 5.
[7] Fallope Josette, Esclaves et citoyens : les Noirs à la Guadeloupe au XIXe siècle, Basse-Terre, Société d’histoire de la Guadeloupe, 1992, p. 212. Arch. dép. Guadeloupe, 1 BIB 3166.
[8] Régent Frédéric, La France et ses esclaves…, p. 165.
[9] Abénon Lucien-René, « La révolte avortée de 1736 et la répression du marronnage à la Guadeloupe », Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, n°55, 1983, p. 54. Arch. dép. Guadeloupe, PG 5.
[10] Régent Frédéric, La France et ses esclaves…, p. 171.
O. Henry, stagiaire au service action culturelle aux Archives départementales de la Guadeloupe.
Pour aller plus loin :
BÉCHACQ Dimitri, « Les parcours du marronnage dans l’histoire haïtienne : entre instrumentalisation politique et réinterprétation sociale », Ethnologies, n° 1, 2006, p. 203-240. https://doi.org/10.7202/014155ar
DI RUGGIERO Vincent, « Le marronnage en Guadeloupe à la veille de la Révolution française de 1789 », Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, n° 116-117-118, 1998, p. 5-64. Arch. dép. Guadeloupe, PG 5.
DONNADIEU Jean-Louis, « Esclaves marrons de propriétaires libres de couleur : regard croisé sur deux groupes méconnus (Saint-Domingue, 1766‑1791) », Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, n° 196, 2023, p. 65- 99. Arch. dép. Guadeloupe, PG 5.
DUMONT Jacques, BÉRARD Benoît, CHATEAU-DEGAT Richard, BÉRAL Béatrice, « La place du marronnage et du « nèg mawon » », Jean Moomou et APFOM (dir.), Société marronnes des Amériques Mémoires, patrimoines, identités et histoire du XVIIe au XXe siècles , Actes du colloque Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane française (18-23 novembre 2013), Matoury, Ibis Rouge, 2015, p. 663-678.
LUCAS Rafael, « Marronnage et marronnages », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 89, 2002, p. 13-28. https://doi.org/10.4000/chrhc.1527
MAILLARD Bruno, GONFIER Gilda et RÉGENT Frédéric, Libres et sans fers : paroles d’esclaves français, Fayard, 2015, 300 p. Arch. dép. Guadeloupe, 1 BIB 5583.